jeudi 30 juillet 2015

Tant que nous sommes vivants

Auteur: Anne-Laure Bondoux
Édition: Gallimard Jeunesse
Pages: 299 p.

RÉSUMÉ
C'est l'histoire de deux adolescents ouvriers, Hama et Bo, qui tombent amoureux en temps de guerre. Suite à la destruction de l'usine où ils travaillent, d'étranges rumeurs qu'on leur porte les forcent à fuir la ville vers l'inconnu. Ensemble, ils devront chercher à se connaître, à trouver un chez soi, testant les limites de leur amour. Le passé et le destin seront les clés à utiliser pour répondre à leurs questions.
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Tant que nous sommes vivants: une histoire d'amour subissant les contrecoups d'une quête de soi traversant les générations; un grand conte introduisant le genre épique et la fatalité, l'individualité et la valeur du Sens de la vie.

Parlons d'abord de Bo et Hama, les personnages principaux. J'ai beaucoup apprécié leur histoire d'amour, dont les clichés, quant il y en avait, sont si bien ramené à leur nature première qu'ils deviennent simplement vrais, proches du cœur. Le coup de foudre, les joies des premiers jours, et plus tard, les premières querelles. Tout cela se produit dans la vie réelle, les clichés sont simplement des événements d'une relation mal racontés, simplifiés jusqu'à leur motif, dénudés de profondeur. Ici, rien de tout cela, je répète. Et donc, l'histoire de Bo et Hama est particulièrement belle, profonde et dramatique. Ce n'est pas une histoire qui finit bien, mais elle ne finit pas mal non plus. C'est une fin ouverte, une promesse de jours meilleurs qu'on ne pourra jamais confirmer. J'ai adoré cette séparation: plus complexe, porteuse d'un message fort, certainement vraisemblable. De plus, ce qui me fascine de l'amour qui unit Bo et Hama est qu'il n'est pas la cause de leur séparation. C'est la quête de chacun qui finit par empiéter sur leur bonheur, détruisant ce qui n'aurait autrement peut-être pas brisé. Si le besoin de quête de soi des deux personnages rayonne à son apogée à la fin du roman, leur amour, tout au long, aura été pour moi aussi fort, naïf, et doux. Pour découvrir une histoire d'amour particulière, je suis tombée sur le bon roman.
D'autres personnages m'auront aussi marqués pour différentes raisons, mais en réfléchissant encore aux personnages de Melkior, le devin, et de la Tsarine, l'acrobate à la jambe brisée, j'ai réalisé qu'ils agissaient entre autres comme un miroir. Le miroir d'une belle fin pour Bo et Hama. Si ces deux tourtereaux perdus avaient acceptés leur condition de vie, s'ils s'étaient acceptés pour passer à autre chose... Ils auraient évolués, j'aime bien le penser, comme Melkior et la Tsarine. Ces derniers agissent du même coup en "clé de la solution" pour le couple. Melkior, par ces incantations, donne carrément les instructions à Bo, et la Tsarine aurait pu servir de modèle à Hama: celle qui ne meurt pas malgré son handicap, celle qui ramène sans relâche le bonheur et la vie au village morne et affecté par la guerre de Bo et Hama, celle qui trouve sa manière de se rendre utile et de garder un sens à sa vie.
Il y a de la beauté dans cet écho entre les personnages. Et tout cela est raconté avec une poésie soignée et simple, à l'image d'un grand conte.

La narration de ce dernier, en plus d'être lyrique, est aussi bien pensée, puisqu'elle est faite du point de vue de Tsell, la fille du couple. Ce n'est pas un punch, rassurez-vous. Au début du roman, toutefois, on n'identifie pas cette voix à quelqu'un en particulier. Elle nous semble omnisciente. Or, c'est à l'arrivée de Tsell dans le décor que la voix prend son sens, ainsi que l'existence de l'histoire de Bo et Hama. Parce que Tsell est la narratrice du roman, j'ai interprété son personnage comme une continuité de la quête de ses parents, et comme l'incarnation de sa réussite. En effet, Tsell désire connaître le passé de ses parents, et lorsqu'elle est amenée à rencontrer leurs guides spirituels, elle accepte rapidement son passé et celle qu'elle est devenue, l'aidant à exploiter son talent caché plutôt qu'à l'étouffer, à l'image de ses parents. Ainsi, je vois Tsell plus comme un symbole lumineux qu'un personnage dont la personnalité est décrite en long et en large, et c'est très bien comme cela, c'est ce qui participe à l'atmosphère prophétique et merveilleuse du conte.

Enfin, comme tout bon conte, la magie est présente. Toutefois, à l'instar des contes traditionnels, par exemple, cette magie n'est pas claire, définie, ni évidente. Au contraire, cette magie fait partie des choses à découvrir par les personnages. De plus, elle n'occupe pas tout l'univers romanesque, sans pour autant qu'elle soit ignorée de la population. Ce que j'ai ressenti, c'est qu'elle était présente et que je devais l'accepter sans pour autant la comprendre totalement. Je n'ai jamais su d'où elle venait ni pourquoi Hama ou Tsell en devinrent possesseur, mais j'ai compris vite que là n'était pas le but. Bref, je n'ai pour ma part jamais vu cette manière d'exploiter la magie, et j'ai beaucoup aimé.

Somme toute, Tant que nous sommes vivants, est un conte finement rédigé, pensé, dont le message est ultra fort. Sa fin ni toute noir ni toute blanche, et positive, me fait aimer encore plus cette oeuvre que je conseillerais, si à des enfants, à dès grands enfants. J'ai l'impression que si trop jeunes, les lecteurs ne pourraient pas comprendre la portée des paroles, ni faire autant de liens. Certains pourraient me dire que c'est la beauté d'un livre qui rejoint plusieurs âges. Pour ma part, j'ai beaucoup aimé pouvoir apprécier le conte dans tous ses détails et ses couleurs.

Je repense souvent à Tant que nous sommes vivants, et plus j'y pense, plus je l'aime. Les premiers jours après l'avoir lu, je ne lui décernait pas le coup de cœur, en partie à cause de ses fins ouvertes. Or, la dans la vie, lorsqu'on quitte des connaissances pour toujours, n'est pas la même chose qui arrive? Une histoire doit-elle obligatoirement finir au mariage du personnage principal, quand tout est installé sans laisser présager de rebondissements? La vie n'est-elle pas remplie de rebondissements, de recommencements? Si ce roman avait finit avec un mariage ou une lettre de Bo, son message aurait-il été aussi fort? Le conte de Bondoux aborde un paquet de thématiques et de questions existentielles et réussit à donner un symbole à chaque personnage. Ils ne sont donc pas traités selon leur personnalité, comme dans un roman contemporain, mais bien selon leur signification. Et ça rend le roman vraiment unique.

Par conséquent, après réflexion, je tiens à décerner le coup de cœur à Tant que nous sommes vivants, parce qu'il a énormément de potentiel de réflexion.
J'ai bien envie de découvrir d'autres œuvres de cette auteure!






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